« Journal tenu sur le banc d'un cimetière »
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4 septembre
Parfois, le simple fait d’être assis sur ce banc me paralyse. Mais ce matin il n’en va pas ainsi. Aujourd’hui les nuages ne traînent pas en longueur, ils sont précis et brefs. Les allées sont bordées de petites guêpes qui ne bougent plus et que les colonnes de fourmis contournent. Les écureuils ne détalent pas à mon approche. Pratiquement tous les autres bancs sont occupés par de jeunes mères très belles qui lisent ou qui somnolent, une main posée sur la poussette à côté d’elles. Un jardinier ratisse, un autre arrose. J’ai reposé mon livre. N’est-il pas vrai qu’on commence à écrire entre les lignes des livres qu’on lit ? Et que l’espace entre les lignes devrait toujours être suffisamment grand pour qu’un lecteur puisse s’y installer à son aise, et à son tour tracer ses propres lignes ? À intervalles parfaitement réguliers, les mères se lèvent et promènent leur progéniture tout autour du cimetière. Elles le font en chantant très bas, ou en silence, en regardant les écureuils qui les regardent. Certaines connaissent si bien le dessin des allées qu’elles peuvent les parcourir les yeux fermés, en somnolant. J’ai même vu l’autre fois une mère qui promenait son enfant les yeux fermés tout en chantant. Les écureuils ne la regardaient pas. N’est-il pas vrai que l’écriture consiste à faire des boucles ? Tout ce qu’il faudrait décrire encore, pour être honnête ! Les graffitis sur les murs du cimetière, les cris d’enfants en provenance de l’école voisine, les trams et les hélicoptères là-haut, là-bas, et toutes les feuilles déjà tombées, toutes les stèles de travers… Mais loin de moi l’idée d’épuiser le cimetière. De toute façon, il s’y passe trop, ou trop peu de choses, selon le point de vue qu’on adopte. Je préfère me positionner quelque part entre ces deux pôles et tenter autre chose. Quelque part entre le trop et le trop peu, tenir cette espèce de journal.