C’est égal, c’est égal





Chaque jour, je bois un verre, je chante ou je me lave les mains comme si c’était le dernier jour. Et j’imagine aussi que c’est dehors la dernière fois qu’il y a le restaurant d’en face, et les voitures, et le panorama. Ce que je fais à longueur de journée : regarder le contour des choses quand il est à son maximum, passer le temps, me déplacer ou rester immobile. Regarder le contour des choses quand il est à son minimum. Si la nuit est tombée depuis longtemps, je finis par dormir, mais plusieurs fois ça n’est pas arrivé. Ce que m’ont dit mes connaissances, je le savais déjà. Elles le savaient déjà aussi. Alors nous nous sommes détournés, à peine un signe de la main. Pourtant, je ne voudrais rien fuir. Mais quelque chose m’emporte. C’est le matin que je préfère, même si je n’y suis pas beaucoup. Tout y est toujours impeccable. L’après-midi, on me donne de l’argent pour le travail bien fait, avec l’argent je peux avoir ma chambre, le nécessaire, passer la matinée sans travailler, dans mon lit, dans ma chambre. Je n’aime pas travailler. Après un certain temps, la chambre a quelque chose de familier, et moi dedans aussi : je reconnais mes gestes, je me fais à l’espace, je me fais au plafond, aux bruits, à la lumière qui coule. Je n’ai rien oublié. Et même dans la chambre suivante, c’est encore les mêmes bruits, la même lumière qui monte sur le contour des choses, je n’oublie rien. Et ma confiance passe au travers de toutes ces chambres. Elle ne s’éloigne pas. Parfois, je dis qu’il y a quelque chose d’autre, que quelque chose d’autre commence, que la séquence en cours est terminée, on passe à la séquence suivante, je le prétends pour moi, je m’entortille dans mes propres paroles. Les phrases comme des arêtes brillantes qu’on tient sans se brûler. Les mots qui sont les noms des choses. Les mois dont on peut dire le nom. Les jours, il y en a sept, pour faire le compte il y a les chiffres, eux aussi sont des mots. Je dis pour m’entraîner le nom des objets qui m’entourent, du mois, du jour qui passe, et les choses qui n’existent pas, je peux les désigner aussi avec les mots « lumière » ou « bruit », ou « phénomène ». À l’intérieur de soi, il y a les « représentations ». Le matin, le travail et la nuit : c’est le partage du temps. La chambre : le lieu que la Terre fait tourner. Et dans mon lit que la Terre fait tourner, les mêmes manières de faire, le soir, et les mêmes phrases qui tournent aussi et me remplissent. Mais je finis par m’endormir, et en dormant, je me répète que c’est égal. Je rêve et je répète : « C’est égal, c’est égal. »